L’imagerie populaire

Chacune de nos confréries possèdent dans ses archives des témoignages iconographiques anciens et souvent méconnus. Ces témoignages sont pourtant l’expression d’une vivacité et d’une dévotion populaire autour de nos confréries. Ce qualificatif de populaire n’est pas toujours regardé aujourd’hui avec l’attention qu’il mérite, et c’est pourquoi, par ces quelques lignes, nous souhaitons lui rappeler tout son intérêt. L’imagerie populaire, avec l’imprimerie, est apparue dès le XVème siècle, encouragée par l’Eglise. Nos confréries ont été aussi des vecteurs de cette propagation de la dévotion au cours de ces mêmes périodes.

Les quelques exemples que nous avons rassemblés et sélectionnés ici, que ce soient des bois, des gravures ou des lithographies,  montrent bien cette caractéristique populaire attachée à nos confréries. Ces gravures, parfois sans prétention, sont simples dans leur représentation, appartiennent à  l’imagerie religieuse. Or, l’imagerie religieuse est d’une grande richesse et d’une immense variété, toujours très proche des goûts et des attentes de son époque. Elles sont le travail d’artistes locaux, souvent anonyme. Il est toujours difficile de dater ces œuvres, il n’est pas exceptionnel que le même cuivre soit réutilisé, voire modifié par des générations d’imprimeurs qui se sont succédés.

 

PÉNITENTS GRIS  (Confrérie des)

Deux pénitents à genoux, en prière, au pied de la croix qui est encadrée de deux anges.

Sur le socle de la croix: ecce lignum crucis venite adoremus.

Sur le piédestal qui supporte la croix: et procidamus ante eam in spe cuius ad misericordiam dei aspiramus.

Aux pieds des pénitents, livre et discipline.

Burin (214 x 154: signée en bas, à gauche: « A.Faure Sculpsit. »

 

Ce premier exemple illustre un appel et une obligation nécessaire à la dévotion de la croix par les deux pénitents anonymes en prière. Le texte imprimé indique les attentes et le réconfort que va procurer cette dévotion. L’image, telle qu’elle est ainsi représentée,  n’est pas seulement une photographie de ce que doit être la dévotion à la sainte Croix, mais elle a aussi un rôle d’enseignement et d’exemple à imiter. Cette gravure a une fonction didactique qui consiste a raconter les Evangiles, la Passion de Notre Seigneur, par quelques mots et par l’attitude des adorateurs. Dans d’autres cas, l’enseignement s’appuiera sur la « légende dorée » afin d’inciter les fidèles à suivre la voie tracée par le Christ et les saints.

 

PÉNITENTS GRIS (Confrérie des)

Deux pénitents à genoux, en prière, au pied d’un autel surmonté de l’ostensoir. Chérubins ornant l’autel et encadrant l’ostensoir. Sur le devant de l’autel, entre deux cierges, tableau portant l’inscription:

« Amande honorable en réparation des Inrévérences, injures, blasphèmes, sacrilèges commises contre cet Auguste Sacrement. Priez pour la conversion des pêcheurs, l’extirpation des hérésies et l’exaltation de la Ste Église. »

Sur la première marche, encensoir et, aux pieds des pénitents, livre et discipline.

Légende: en haut,

Loué soit à jamais le très st sacrement de l’autel;

en bas:

Indulgence plénière pour tous ceux qui s’étant confessé et communié diront loué soit a jamais le très st sacrement de l’autel; ils délivreront les cinq premiers jours une Ame du purgatoire.

Burin (224 x 170) en bas, à droite: »chez Michel à Avignon »

A la différence de la précédente gravure qui évoquait la pénitence, la souffrance de notre Seigneur et le salut par la Croix, nous sommes appelés  ici à la louange, accompagné par les chérubins qui entourent le Très Saint Sacrement. L’effet de cette louange est immédiat et nous permet de bénéficier pour nous même des trésors accumulés par l’Eglise, par l’indulgence plénière, mais aussi pour les âmes pour lesquelles nous prions.

Par ces deux images, tout un catéchisme est développé, tout un enseignement est ainsi représenté, de la Passion jusqu’au Royaume, avec comme seul point commun : la prière.

L’iconographie religieuse cherche sa source aussi dans les évènements historiques, permettant ainsi de rappeler les évènements importants qui ont marqué la dévotion locale. Le Miracle de Eaux dont a été témoin notre chapelle en 1433, devenue depuis en sanctuaire eucharistique, est un exemple a souligner et qui mérite sa place dans ce bref exposé.

 

Miracle des Eaux

Le Miracle des Eaux

 Cette vue intérieure de la chapelle représente la nef du Miracle. L’autel est orné du Sacré Coeur. Au fond de la nef, un grand tableau représentant le Christ en croix. Les textes rapportent l’existence de cette peinture attribuée à Parrocel. L’ostensoir est exposé sur le tabernacle, sous un dais. Les eaux , partagées en deux, laissent libre le passage central de la nef. Deux pénitents se dirigent vers l’autel. Trois hommes en costumes Louis XV, sont agenouillés au premier plan.

Légende:

Gloire, Louange et Honneur au Très Saint Sacrement.

Miracle arrivé le 30e 9bre 1433 dans la chapelle des cy-devant pénitents gris d’Avignon.

 (30,2 X 20,5) Tirage sur soie

Cette gravure nous place face à une représentation de la scène du Miracle tel que les textes l’atteste et le décrive précisément, mais dans un contexte contemporain à l’artiste qui a exécuté cette oeuvre. Les costumes des personnages, montre que ce Miracle est devenu intemporel, qu’il est de toute éternité pour ceux qui demain encore viendront s’agenouiller et rendre gloire. Les pénitents sont représentés, avec un cierge allumé et les clefs à la main, avançant vers le Saint Sacrement. La confrérie se trouve ainsi chargée de porter cette lumière de l’Adoration et de conserver, en tant que  gardienne, cette dévotion eucharistique dans ce sanctuaire.

 

Adoration du Saint Sacrement

Représentation très précise du chœur de la capelle des pénitents gris, avec son autel surmonté de la Gloire en bois doré. Cette Gloire est constituée d’une niche en bronze doré pour abriter l’ostensoir, entourée par des angelots sur un fond de nuage recouvert de platine.

A genou et en prière de dos, un prêtre et ses deux acolytes, deux pénitents, puis deux couples dont les femmes sont agenouillées sur des prie-dieu.

Lacroix del. Lith. Magny à Avignon.

Légende:

Je m’engage à faire une heure d’adoration devant le Très Saint Sacrement, dans la chapelle de la Royale et Dévote Compagnie des Pénitents Gris d’Avignon, le… de chaque mois.

Lithographie (22 X 16)

Cette lithographie, plus récente, dépeint l’intérieur actuelle de notre chapelle, de sa gloire rayonnante au dessus de l’autel, tout entièrement orienté et consacré à l’Adoration Eucharistique.  Mais, nous découvrons par cette représentation le réel souci d’organisation de l’Adoration du Saint Sacrement dans notre oratoire qui a fait l’objet d’un rappel et d’un soin permanent des différents Archevêques qui se sont succédés à Avignon. Cet exemple d’iconographie montre la volonté d’organiser, de donner un cadre de dévotion aux fidèles, un souci de conduire à la prière les paroissiens du centre ville. Notre chapelle trouve ainsi sa place dans la ville comme sanctuaire, ouvert à l’Adoration quotidienne des fidèles et des clercs, mais, cet exemple est très intéressant, il montre que l’iconographie dans le cas présent, n’est plus utilisé comme support d’enseignement, mais bien comme un moyen d’enrôlement.

Un dernier exemple d‘iconographie nous semble important de citer. Cette gravure d’une facture ancienne par sa construction architecturale, éclaire bien la difficulté du sujet de l’imagerie populaire. En effet l’artiste graveur a repris un cuivre existant et lui a donné une nouvelle fonction, correspondant aux attentes des commanditaires.

 

Notre Dame de Délivrance

Dans une niche Louis XIII, avec fronton surmonté d’un cœur enflammé, flanquée de deux têtes de chérubins sur les contreforts, la Vierge debout sur un nuage, tient la main de l’enfant Jésus qui bénit.

En haut, au dessus de la niche:

 Nostre Dame de Délivrance Priez pour Nous.

Légende:

 Notre Dame de Délivrance, honorée dans la chapelle des Pénitents gris, d’Avignon, et invoquée pour la protection des femmes enceintes.

Oraison:

Ô Divine Maire, Vierge et Mère, Reine des hommes et des anges, par tous vos Glorieux attributs et particulièrement par votre Auguste Maternité, nous vous supplions de conserver les femmes Enceintes, et de leur obtenir une heureuse délivrance afin qu’elles donnent des enfants à l’Église, qui louent et bénissent éternellement le fruit sacré de vostre Ventre Jésus. Sainte Marie, mère de notre Rédempteur, délivrés nous par Vostre puissante intercession, des maux passés, présents et advenir. Ainsi soit il.

(39 X 29)

La statue de la Vierge Marie représentée  sur cette gravure est effectivement présente dans une des chapelles latérales de la confrérie.

Cette chapelle était jusqu’au XVIIIème siècle le lieu de sépulture des pénitents avec une dévotion spécifique pour la Bonne Mort. Cette dévotion avait donné naissance à une association indépendante de la Confrérie : association de la Bonne Mort, chargée de prier pour  la délivrance des âmes du purgatoire. A la suite de la visite pastorale de Mgr Fiesque en 1720, les caveaux des pénitents ont disparu avec cette interdiction générale de ne plus autoriser à être enterré dans les églises.

Mais la dévotion pour la « Délivrance » est restée, et que se soit pour la délivrance des âmes du purgatoire, comme la délivrance des femmes enceintes, la signification reste identique, en restant toujours un appel à la vie, l’appel de la vie pour l’enfant à naître, ou l’appel à la vie éternelle au jour de la résurrection.

Dans le cas présent de cette représentation, il est important de noter que l’image, de toute évidence, n’est pas seulement un objet devant lequel on prie, un support de dévotion : elle vaut aussi par son pouvoir supposé. Tout ce passe comme si, loin d’être une simple représentation, elle devient un moyen présent et agissant.

Ces quelques exemples d’imagerie religieuse, que nous trouvons encore dans les archives de nos Confréries, méritent de revivre. D’artistes anonymes, comme l’auteur de l’Imitation, ces œuvres n’ambitionnent d’autre récompense que d’ajouter à la plus grande gloire de Dieu. Dans notre société sécularisée à outrance, où il n’y a plus de place pour le sacré, où l’icône religieuse est devenue une représentation photographique de décoration, il est important de faire revivre ces images pour qu’elles retrouvent leur fonction et leur mission d’introduction à la vie spirituelle.